L’activité sportive est souvent appréciée pour son amélioration des conditions physiques. Le sport est également connu pour son caractère compétitif, concourir pour un trophée ou une coupe. Pourtant, le sport peut jouer un rôle cohésif et finit par être un levier du développement économique inclusif. Les habitants rapatriés et les résidents de la colline Mwiruzi ,plus de 10km du chef lieu de la commune Mishiha en province Cankuzo, l’Est du Burundi, connaissent mieux les fruits de cette approche. Grâce aux matchs amicaux, ces deux groupes ne se regardent plus en chiens de faïence. Plutôt, ils ne pensent qu’à leur meilleur avenir ensemble.
La crise socio-politique et sécuritaire qui a secoué le pays pendant des décennies(1972_2002) contraignant une partie de la population à fuir vers les pays limitrophes. A l’origine de la crise, l’ethnie. Les hutus se sentaient menacés par le pouvoir dit des tutsis. Paix retrouvée, les exilés rentrent au bercail mais gardant une dent contre les tutsis environnants. Et ces derniers ne pouvaient pas se faire entendre qu’une bonne cohabitation est possible avec leurs nouveaux voisins. La distance est restée observable entre résidents et rapatriés regroupés dans le site de plus de 1500 personnes. Des accusations persistaient. Toute initiative initiée dans le but d’une réconciliation vouée à l’échec. C’est finalement le sport qui a pu jouer le rôle unificateur. Ce sont des matches amicaux de football organisés en 2012 qui ont rendu nulles les barrières.
Pie Mavukiro, chef de colline de lors, a raconté que la colline, sur le plan socio-politique et sécuritaire, le tissu social était très fragile. Des tensions entre ces deux groupes s’observaient. Mais, après l’introduction de l’approche sportive, se réjouit-il, la population cohabite comme si rien ne s’est passé. Plutôt, ils se parlent comme des frères et ce qui préoccupe un résident, le premier intervenant est un rapatrié. « Réunir ces groupes jusqu’à ce qu’ils émettent sur les mêmes ondes nous a coûté cher. Les uns accusaient d’autres d’être à l’origine des temps sombres qu’ils ont vécus. Et d’autres vice versa. Les formations, clubs des organisations chrétiennes, humanitaires ou autres initiatives visant réconcilier ces les patries ont été utilisés mais sans succès. Dieu merci, c’est l’approche sportive qui a finalement porté fruits. Maintenant la réconciliation est totale, rien à s’inquiéter ‘’, témoigne l’ancien chef de colline. À chaque fin d’un match de football, un partage d’un verre des boissons locales préparées à tour de rôle par ces deux parties. Un bon moment de partages et d’échanger avec des commentaires portant sur le déroulement du match. Cela pendant des mois. Petit à petit, la population s’est retrouvée unifiée. « Aujourd’hui, ils ne rêvent qu’un développement commun’’, a indiqué Pie Mavukiro.
Les antagonistes ne comprenaient pas l’astuce
Bucumi Charles, un rapatrié, n’a compris le visé des matchs qu’après des mois. « Je jouais comme d’habitude, je ne comprenais pas la philosophie derrière. C’est après des mois de jeux que j’ai trouvé finalement mes adversaires résidents devenus mes amis inséparables. On trouvait nos enfants fanatiques des joueurs du côté des résidents, et les leurs devenus nos fanatiques. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés ensemble », nous a-t-il raconté. Même son de cloche que Marius Nitunga, un résident. « Vraiment le football nous a unis. Aujourd’hui, pas des accusations ou messages de haine comme avant, on se parle de tout avec de bonne humeur. L’on ne parlera pas mal du football », se réjouit-il.
Ces camps réconciliés remercient Léonidas Masaho qui était chargé des activités sportives dans la commune pour avoir proposé l’approche sportive aux autorités administratives. Ce sportif, actuellement en retraite, indique que l’idée est venue d’une histoire des pays où les jeux ont joué un grand rôle pour réconcilier les groupes antagonistes. ‘’J’ai entendu cette histoire à la radio dans une émission sportive en 2004 et j’ai voulu l’appliquer. Dieu merci que ça a réussi’’, dixit Léonidas Masaho. Il espérait qu’avec « fair play » qu’enseigne le sport ça pourra marcher. En tant qu’envoyé de l’administration communale, Masaho indique qu’il profitait ces moments de partage d’un verre pour passer des messages invitant la population à éviter des messages de haine ou de provocation.
La cohésion sociale se manifeste à l’oeil nu
Pas besoin de zoomer pour constater les fruits de la réconciliation. Marianne Niyomutoni est une femme tutsie mariée en 2014 à Jean Marie Kajoro, un ancien du camp de réfugiés de Mutendeli. « Le premier contact a eu lieu après un certain match lors de la réception », se souviennent-ils. Marianne ne regrette pas d’avoir dit oui pour la vie à un rapatrié d’ethnie différente à la sienne. Même son de cloche que le mari. « On s’aime bien, nous sommes dans un petit paradis« , raconte le couple de trois enfants. Les belles familles en sont fières. « Marianne est mon enfant gâté, notre famille a eu la chance de l’accueillir« , témoigne Juliette Nzikoruriho, belle-mère de Marianne. Selon les habitants de cette colline, les fruits de la réconciliation se remarquent également dans les activités génératrices de revenus qu’ils entreprennent ensemble : des champs rizicoles cultivés ensemble en coopératives ; une solidarité lors que quelqu’un a besoin d’un soutien ou assistance, etc.
« Notre colline serve actuellement de référence. Ils répondent ensemble aux activités du développement communautaire. Vraiment, ils ne me font pas fatiguer. Ils ont compris que leur ennemi n’était que la pauvreté. Ils sont en train de le combattre ensembles, nous en sommes fiers », dixit Selemani Barindogo, l’actuel chef de cette colline frontalière de la Tanzanie.
Grâce au football qui a enterré les vieux démons, ces habitants atteignent un développement socioéconomique significatif. « Ils cultivent et récoltent ensemble en coopératives. Un nouveau venu d’ailleurs de la colline Mwiruzi ne peut en aucun cas constater qu’il y a eu des moments de tensions “, fait savoir Barindogo
Prof Emmanuel Nkorerimana, enseignant de l’Université du Burundi à l’, Institut de l’Education Physique et Sportive(IEPS), fait entendre que le sport est un remède efficace pour guérir le stress et les différends. Et avec le stress, explique-t-il, la réconciliation n’est pas possible. « Il faut que la population se sente en mood d’ambiance avec une source de joie commune. Et quand on est sportif, on ne pense plus à faire du mal à l’autre », fait savoir ce professeur. Selon lui, le sport met indirectement les gens sur une voie démocratique. « Les gens apprennent à respecter le résultat, synonyme des élections. L’on apprend aussi à s’exprimer par commenter le jeu. L’on apprend que la victoire est à celui qui mérite. Aussi quand on sanctionne un joueur, ils apprennent à lutter contre l’impunité. Toutes ces règles sont indispensables pour la bonne gestion d’une société », affirme Prof Emmanuel Nkorerimana.
Ce quadragénaire assure qu’avec le sport, un développement en tous ses angles est possible. Pour lui, c’est facile que des personnes qui partagent un centre d’intérêts s’engagent pour un entrepreneuriat commun.
Emmanuel Nkorerimana conseille aux sociétés de ne pas prendre le sport comme seulement une activité physique visant à améliorer la condition physique ou pour prévenir certaines pathologies. Mais, qu’il peut aussi être pratiqué pour résoudre un défi socio-économique et politique et bien d’autres .
Gérard HABURANIMANA